Matthew Herbert
Biographie
« Comment faire de la house music quand on ne croit plus que l’humanité peut s’en sortir ? Le programme peut avoir l’air dément, comme ça, mais c’est exactement celui de The Shakes (qu’on peut traduire par «les chocottes»), peu ou prou le vingtième album de Matthew Herbert en vingt ans de carrière et le premier à paraître sous son seul patronyme depuis Scale, en 2006.
Echappé depuis quelques années vers des territoires de plus en plus conceptuels, engagés et angoissés qui l’ont mené jusqu’à quelques points de non-retour peu rassurants pour son futur d’entertainer – on se souvient notamment d’une relecture de la 10e Symphonie de Mahler à base de sons enregistrés depuis l’intérieur d’un cercueil ou d’un crématorium -, l’Anglais ne pouvait pas décemment revenir à un format de morceau dance comme si de rien n’était.
Sans doute encouragé par l’amour de plus en plus fervent qui circule autour de Around the House et Bodily Functions, les deux chefs-d’œuvre deep house qui l’ont fait connaître, il s’y emploie tout de même mais accouche de son disque de chansons le plus fébrile et le plus mélancolique à ce jour. Vendu comme une «tentative de faire revenir l’auditeur sur la piste de danse», The Shakes, dont la couverture met en scène, façon caméra subjective, la tentation du suicide, expose surtout les états d’âme de Matthew Herbert pour y retourner vraiment. Comme il l’explique pour présenter son disque : «Quand j’ai commencé à écrire de la musique, je le faisais car j’avais l’opportunité de le faire, et parce que j’y trouvais du plaisir. En vieillissant, je suis de moins en moins convaincu par ces raisons. A une époque où les inégalités se creusent jusqu’à atteindre des extrêmes inédits et où le système que nous avons créé nous détruit plus qu’il ne nous fait vivre, la tendance de la musique à empiler ses notes sans but semble au mieux inapte à nous secourir. Qui a besoin de distraction quand l’engagement se fait à ce point désirer ? Mais comme la musique ne saurait se résumer à des appels aux armes, elle peut aussi attendrir et envelopper ceux qui cherche du réconfort. Cet album est une tentative de trouver un terrain d’entente entre ces deux extrémités.»
Loin des délicieux bricolages deep house de ses débuts, plus abordable tout de même que ses expériences récentes avec des enregistrements d’explosions en Libye (The End of Silence), The Shakes donne assez peu envie de danser mais rappelle que Matthew Herbert est aussi un songwriter très précieux, et trop peu apprécié, qui commençait à sérieusement nous manquer. Chanté par un couple de doppelgängers très incarnés (Ade Omotayo, repéré chez Basement Jaxx, et Rahel Debebe-Dessalegne, du groupe Hejira), The Shakes est au final surtout un beau disque de pop britannique : subtil, profond et complexe, comme il nous en arrive de moins en moins de l’avant-poste de l’ultralibéralisme européen » Olivier Lamm – Libération